Sciences : les risques du vapotage sous la loupe

À l’automne 2019, des maladies respiratoires graves ont frappé 3000 jeunes vapoteurs américains, faisant plus d’une soixantaine de morts. La pandémie a relégué le sujet aux oubliettes, mais depuis, des études auxquelles participent des chercheurs montréalais continuent de dresser le même constat : le vapotage n’est pas inoffensif.

Les souris sur lesquelles Carolyn Baglole, biologiste à l’Université McGill, a testé le vapotage présentaient des signes de problèmes métaboliques, notamment de gestion des lipides. Elles présentaient également des signes de dommages aux artères. Ainsi, le vapotage peut augmenter le risque de maladies cardiovasculaires, particulièrement chez les hommes, conclut Mme Baglole.

Vapoter chaque jour sur une longue période augmente le niveau de lipides dans les vaisseaux sanguins. Les lipides s’accumulent sur les parois et dans le cœur, montre l’étude que Mme Baglole a publiée en novembre dans la revue académique Toxicology and Applied Pharmacology. « C’était notable, étant donné que l’athérosclérose est souvent liée à l’inflammation et que le vapotage créait peu d’inflammation dans les poumons et le reste du corps. »

L’équipe de McGill a lancé son étude en 2019, en pleine crise du vapotage, alors qu’on recensait de nombreux cas de maladie pulmonaire associée au vapotage (MPAV, ou son pendant anglophone plus largement utilisé, VALI).

PHOTO OWEN EGAN ET JONI DUFOUR FOURNIE PAR CAROLYN BAGLOLE

Carolyn Baglole, biologiste à l’Université McGill

Mutations et nutriments

Joints à d’autres publiés ces dernières années, ces résultats montrent, selon Mme Baglole, qu’il n’est pas impossible que l’effet du vapotage sur la santé soit aussi important que celui du tabagisme.

Fumer décuple le risque de cancer du poumon, alors que la plupart des expositions environnementales ont un effet 10 fois moins grand. La fumée secondaire ou l’obésité, par exemple, augmentent de 20 % à 50 % le risque de cancer.

D’après Mathieu Morissette, biologiste spécialiste du tabac et du vapotage à l’Université Laval, le vapotage cause beaucoup moins de mutations génétiques, à l’origine du cancer, que le tabagisme. « Mais certains produits associés au vapotage peuvent favoriser la croissance du cancer », précise M. Morissette.

Deux produits couramment utilisés dans les vapoteuses, le propylène glycol et le glycérol, peuvent notamment être utilisés comme source d’énergie par les cellules. Cela permet aux tumeurs de croître plus rapidement.

« Là, on amène du propylène glycol et du glycérol directement dans les poumons, indique le chercheur de Québec. Si une personne a fumé la cigarette, puis passe au vapotage, elle peut avoir un risque de cancer à cause du tabagisme qui va progresser plus vite à cause du vapotage. »

L’exemple néerlandais

Comme Mme Baglole, Flory Doucas, coordonnatrice à la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, croit qu’il est trop tôt pour exclure la théorie selon laquelle le vapotage serait aussi nocif que le tabac.

Actuellement, dans l’échelle des émissions toxiques, il y a les thérapies de remplacement de nicotine, ensuite le vapotage, ensuite, avec beaucoup plus de risques, les produits de tabac chauffés, et ensuite, les cigarettes conventionnelles. Mais il se peut que le vapotage soit plus risqué qu’on pense, proche des produits de tabac chauffés.

 Flory Doucas, coordonnatrice à la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac

Même si le vapotage se révèle moins nocif que le tabagisme, il s’agit d’un problème de santé publique parce que deux fois plus de jeunes vapotent que fument. « On doit réglementer la soupe de produits chimiques présente dans les produits de vapotage », estime la Dre Doucas.

Selon elle, les Pays-Bas sont l’exemple à suivre. Ce pays d’Europe de l’Ouest interdit plusieurs des produits chimiques présents ici dans les vapoteuses.

Animaux et humains

Les études actuelles à propos du vapotage portent sur les animaux parce qu’on découvrira ses effets sur l’humain, comme ceux du tabagisme, seulement dans plusieurs décennies.

« On utilise des souris souvent susceptibles aux maladies comme l’athérosclérose pour voir ce qui se passe au niveau biologique », explique M. Morissette.

Le biologiste de l’Université Laval suit une cohorte de vapoteurs de Québec pour voir s’ils présentent des altérations biologiques, alors qu’ils n’ont aucun symptôme clinique. Pour le moment, il a noté une hyperactivité bronchique et des anomalies dans la diffusion du monoxyde de carbone, produit par la respiration humaine.

PHOTO FOURNIE PAR MATHIEU MORISSETTE

Mathieu Morissette

On va essayer maintenant de comprendre, avec des animaux, pourquoi il y a ces phénomènes biologiques, et pourquoi seulement chez certains vapoteurs. Tous les vapoteurs ne sont pas égaux, comme les fumeurs. Certains sont plus sensibles.

 Mathieu Morissette, biologiste spécialiste du tabac et du vapotage à l’Université Laval

Cet automne, dans la revue Scientific Reports, des chercheurs italiens ont montré que les vapoteurs présentent des anomalies respiratoires « non cliniques », c’est-à-dire qu’ils ne généraient aucun symptôme observable.

« Les symptômes sont un très mauvais indicateur de ce qui se passe dans les poumons, commente M. Morissette. Avant qu’il y ait des symptômes, il se passe des années, voire des décennies. »

Le bilan de 2019

Les conclusions des enquêtes sur la VALI ont été peu couvertes par les médias, lesquels étaient, au printemps 2020, surtout concentrés sur la COVID-19.

Le coupable est l’acétate de vitamine E, un produit associé à l’utilisation de vapoteuses pour consommer du cannabis, selon Mme Baglole. Ce produit servait de condensateur pour les capsules de cannabis vendues sur le marché noir, et des recherches ont montré que l’acétate de vitamine E pouvait produire un gaz toxique pour les poumons. Il est interdit au Canada dans les produits de vapotage.

Les victimes de la VALI semblaient présenter des dommages à leur système immunitaire, indique Mme Baglole. Elle veut prochainement répondre à certaines questions. Est-ce que le vapotage normal peut induire des dommages au système immunitaire, ou alors, générer des problèmes auto-immunitaires ?

Le Canada a été moins touché que les États-Unis par la crise du vapotage : seulement 20 cas, dont 16 hospitalisations, ont eu lieu au pays, et aucun n’est mort. Il y a eu six cas au Québec.

En savoir plus
  • 20 %Proportion des Canadiens de 20 à 24 ans qui vapotaient tous les mois en 2022
    Source : Statistique Canada
    15 %Proportion des Canadiens de 20 à 24 ans qui vapotaient tous les mois en 2019
    Source : Statistique Canada
    (AVEC LA PRESSE)
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