Financement libyen : « le procès a pulvérisé l’argumentation consistant à soutenir que le dossier est vide ou politique »

Selon Maître Vincent Brengarth, avocat de l’ONG Sherpa, qui s’est portée partie civile dans ce dossier « aucune explication cohérente n’a été apportée en réponse à la plupart des éléments ».

 Financement libyen: "Le procès a pulvérisé l’argumentation consistant à soutenir que le dossier est vide ou politique"

Le 8 avril 2025, le procès du « financement libyen » de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, s’est achevé après trois mois de débats parfois houleux, au cours desquels l’ancien chef de l’Etat n’a eu de cesse de clamer son innocence, invoquant un procès « politique ».

Jugés au terme de treize années d’instruction, Nicolas Sarkozy contre lequel le parquet a requis sept ans de prison, et douze autres accusés dont trois de ses anciens ministres, seront fixés sur leur sort le 25 septembre prochain.

Dans un entretien à Anadolu, Maître Vincent Brengarth, avocat de l’ONG Sherpa, qui s’est constituée partie civile dans ce procès d’une ampleur titanesque, est revenu sur l’audience, livrant son ressenti.

Qualifiant le procès de « véritablement historique, aussi bien vis-à-vis des protagonistes jugés que du fond de cette affaire, inhérente à la conclusion présumée d’un pacte corruptif », l’avocat estime que « l’argumentation consistant à soutenir que le dossier était « vide » ou « politique », a été pulvérisée ».

« Il a mis les déclarations médiatiques des prévenus, parfois très complaisamment relayées par une partie de la presse, à l’épreuve des faits », estime l’avocat parisien, pour qui « l’instruction menée par la juridiction a été de très haute volée et les débats intenses ».

Il estime, de fait, que ces trois mois d’audience ont « incontestablement mis en exergue un ensemble d’éléments révélés par l’information judiciaire » et assure que de son point de vue « aucune explication cohérente n’a été apportée en réponse à la plupart de ces éléments ».

« On peut citer, entre autres, les carnets de Choukri Ghanem, ancien ministre libyen, évoquant un financement de la campagne ou encore les rencontres inexplicables entre Brice Hortefeux, Claude Guéant et Abdallah Al-Senoussi, condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité en 1999 pour l’attentat du DC-10 d’UTA », égraine Vincent Brengarth.

Pointant le « tumulte médiatique » et les « stratégies d’enfumage », le conseil de l’ONG Sherpa rappelle que « les faits reprochés, qui concernent le financement d’une campagne électorale par une dictature, sont d’une extrême gravité, sans précédent » et « voit difficilement pour quelles raisons la peine, en cas de condamnation, pourrait être en décalage avec ce constat ».

Et de poursuivre: « Il y a plus généralement, aujourd’hui, une attente qui pèse sur la justice, en particulier dans les affaires d’atteinte à la probité, de prononcer des sanctions rappelant qu’il n’y a pas de traitement de faveur et qu’il n’y pas de fatalité dans la corruption. Aujourd’hui, beaucoup de citoyens, excédés par le manque d’exemplarité de leur classe politique, ne comprennent pas pourquoi les sanctions ne suivent pas malgré l’intensité de l’atteinte portée à l’intérêt général ».

— Stratégies de défense

S’agissant des stratégies de défense et du déroulé des débats, Vincent Brengarth décrit un procès « extrêmement prenant » qui « a permis à la juridiction de confronter les prévenus à la totalité des faits, parfois avec des séquences particulièrement fines au vu de la complexité de certains montages », mais se dit « déçu par les réponses apportées, par exemple sur le coffre-fort qui avait été loué par Claude Guéant ou notamment les explications apportées par Éric Woerth sur l’origine des dons en espèces reçus pendant la campagne présidentielle ».

« J’ai également été déconcerté par l’attitude parfois frivole, pour ne pas dire suffisante, de certains prévenus vis-à-vis de la juridiction. Cela dénote, à mon sens, une inconscience du rôle de la justice et cela accrédite le sentiment que, lorsqu’on est puissant, tout est possible, à commencer par le mépris des juges », explique-t-il.

S’il affirme avoir vu au cours de ce procès, un Nicolas Sarkozy « très combatif, ce qui est conforme à la personnalité que l’on connait », il juge que « le propos, bien que vigoureux, était souvent assez répétitif et (…) éludait des éléments souvent déterminants du dossier ».

Et de trancher: « Je n’ai pas été convaincu par les explications apportées car elles manquaient de cohérence. Surtout, il faut bien comprendre qu’il y a eu un « financement libyen » et la thèse d’une captation par Ziad Takieddine, au mépris et dans l’ignorance de tous, au risque de froisser avec les responsables français et libyens, m’apparait peu crédible, surtout que Thierry Gaubert a reçu la somme de 440 000 euros. En fait, aucun contre-récit véritable n’a été apporté à celui, documenté, de l’accusation ».

Pour conclure son propos, l’avocat de l’ONG Sherpa appelle à « véritablement prendre la mesure » de ce qui s’est joué durant ces trois mois de procès « à savoir la possibilité, pour le ministère public, de réclamer une peine d’emprisonnement à l’encontre d’un ex-chef d’Etat pour un pacte corruptif et d’anciens très hauts responsables publics », alors que « beaucoup de pays (nous) envient cette indépendance et on voit qu’elle fait aussi peur à un ensemble d’acteurs qui savent qu’ils pourraient, aujourd’hui ou demain, être amenés à rendre des comptes ».

« Cette crainte s’est encore exprimée par les déclarations d’une incroyable dureté de Marine Le Pen à l’issue de sa condamnation. Notre responsabilité collective est celle de dénoncer les défaillances de la justice, et elles existent, mais aussi de la soutenir, lorsqu’elle fait preuve de courage et d’indépendance. Il en va de la lutte contre l’impunité qui est recherchée sous couvert de critiquer une justice qui ne serait pas indépendante », souligne-t-il.

— « Corruption passive »

Dans le détail, conformément à l’ordonnance de renvoi émise au terme de d’une instruction qui aura duré 13 ans, Nicolas Sarkozy est jugé pour des faits de « corruption passive, association de malfaiteurs, financement illégal de campagne électorale et recel de détournement de fonds publics libyens ».

Les magistrats ont, en effet, considéré que « s’il semble manifeste que l’intégralité des fonds libyens initialement destinés à cette fin n’a pas été mobilisée dans ce but, il ne saurait être contesté que l’information judiciaire a mis en évidence, à la faveur d’investigations rendues particulièrement complexes, des circuits opaques de circulation de fonds libyens ayant abouti, in fine, à des décaisses d’espèces dans une temporalité et une chronologie compatible avec un usage occulte lors de la campagne électorale de 2007 ».

Parmi les autres accusés, figurent douze personnes, dont les anciens ministres de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux et Éric Woerth, ainsi que plusieurs intermédiaires tandis que l’un des témoignages les plus incriminants rendus publics, est celui de Saïf Al-Islam Kadhafi, l’un des fils de l’ancien Guide libyen, qui déclarait dès 2011 qu’il « faut que Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale ».

Dans un reportage diffusé courant 2018, par la chaîne publique France 2, Moftah Missouri, ancien conseiller et interprète du colonel Kadhafi, assurait lui aussi que l’ex-président libyen « a aidé Sarkozy » en lui fournissant « de l’argent » pour le financement de sa campagne de 2007.

Son témoignage a ensuite été corroboré dans le même reportage par celui de l’ancien directeur de cabinet du colonel Kadhafi, Béchir Saleh. Filmé en caméra cachée, l’homme a admis que « Kadhafi avait un budget spécial pour les personnes qu’il souhaite soutenir » et déclaré « oui c’est vrai » concernant les accusations de financement libyen qui visent Nicolas Sarkozy.

Ziad Takieddine, homme d’affaires et ancien homme de main de Kadhafi apparaissait également dans le reportage de France 2. Il y a réitéré les accusations qu’il portait depuis le début de cette affaire révélée par Mediapart.

Devant les enquêteurs, l’homme a reconnu avoir convoyé plusieurs valises d’argent liquide, contenant plusieurs millions d’euros entre 2006 et 2007, au bénéfice de Nicolas Sarkozy et Claude Guéant.

Mais au cours d’une longue interview accordée à Paris Match en 2020, et qui avait fait grand bruit, le franco-libanais avait fini, après des années d’accusations précises sur ledit financement, par opérer un radical changement de version, accusant les magistrats en charge de l’enquête, de l’avoir forcé à mentir.

« Sarkozy n’a pas touché un centime, cash ou pas cash, pour l’élection présidentielle », avait-il affirmé dans les colonnes du magazine.

En juin 2021, des perquisitions sont alors menées au domicile de l’ex-conseillère en image officieuse du couple Macron, Michèle Marchand, dite « Mimi Marchand », avant son placement en garde à vue et sa mise en examen pour « subornation de témoin » et « association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie en bande organisée ».

Placée sous contrôle judiciaire, cette figure de la presse people a été incarcérée dans la foulé pour n’avoir pas respecté les termes de ce contrôle, lui interdisant notamment d’entrer en contact avec certains protagonistes de l’affaire.

— « La vérité éclate enfin »

L’épouse de l’ancien chef de l’Etat, Carla Bruni Sarkozy est également mise en examen dans cette enquête.

Nicolas Sarkozy avait très rapidement réagi à la rétractation de Ziad Takieddine via son compte Facebook en annonçant avoir mandaté son avocat pour « déposer une requête en démise en examen et engager une procédure pour dénonciation calomnieuse contre Ziad Takieddine dont les précédentes allégations » lui ont « causé un préjudice considérable ».

Il se réjouissait que « la vérité éclate enfin » et assurait que depuis « sept ans et demi, l’instruction n’a pas découvert la moindre preuve d’un quelconque financement illicite ».

« Jamais il ne m’a remis d’argent, jamais il n’y a eu de financement illégal de ma campagne de 2007 », avait-il martelé dans son message.

Sarkozy demandait, par ailleurs, à ce que « les autorités judiciaires fassent la lumière sur les graves accusations portées quant à l’impartialité de certains magistrats ».

Mais au terme d’une enquête de près de 2 ans, sur cette étrange rétractation, la justice a établi en avril dernier, que pas moins de 608 000 euros ont été mobilisés pour obtenir la volte-face, par voie de presse, de Ziad Takieddine.

Si Nicolas Sarkozy a été élu à la tête de l’Etat en 2007, les faits qui lui sont reprochés ont débuté en 2005, année au cours de laquelle il se rend en Libye, officiellement pour échanger sur les problématiques migratoires, alors qu’il est en poste Place Beauvau.

C’est à ce moment-là que les premiers échanges se seraient noués avec Kadhafi en vue d’un possible soutien financier.

La même année, Brice Hortefeux, se rend lui aussi en Libye où il est soupçonné d’avoir communiqué un numéro de compte à Abdallah Al-Senoussi, ancien chef du renseignement libyen et beau-frère de Kadhafi.

Dès 2006, Claude Guéant, directeur de campagne de Sarkozy, se rend à plusieurs reprises au sein d’une agence de la BNP dans laquelle il loue un grand coffre-fort, prétendant y conserver des archives. La justice envisage qu’une forte somme d’argent en liquide a pu y être entreposée, alors qu’une expertise a permis d’établir qu’au moins 250 000 euros, dont la provenance est inconnue, ont servi à rémunérer, en espèce, des salariés de l’équipe de campagne de 2007.

Fin 2007, alors que Sarkozy a été élu depuis quelques mois, Mouammar Kadhafi est reçu en grandes pompes à Paris où il plante une tente, face à l’Elysée, dans les jardins de l’hôtel Marigny.

Dans les mois qui suivent, des transactions qui sèment le doute en transitant via l’étranger, se multiplient, impliquant l’entourage de Nicolas Sarkozy et celui du pouvoir libyen.

Tout s’accélère lorsqu’en 2011, Nicolas Sarkozy soutient ouvertement les rebelles qui souhaitent la chute de Kadhafi, provoquant la colère de Benghazi. Face à ce qui est vécu comme un affront, le clan Kadhafi réplique et affirme avoir fourni à Nicolas Sarkozy, des fonds pour financer sa campagne électorale. Mouammar Kadhafi perdra la vie en octobre 2011, dans une opération menée par l’OTAN, tandis que son ancien ministre du pétrole, Chokri Ghanem, qui tenait un carnet dans lequel il a noté plusieurs des paiements qui auraient été effectués au profit de Sarkozy, est retrouvé mort en 2012, noyé dans le Danube.

– 2012, la justice se penche sur l’affaire

Mais la justice ne se penche réellement sur l’affaire, qu’à partir de 2012, après que Ziad Takieddine a affirmé devant un juge d’instruction, qu’il détenait des preuves permettant de démontrer que Nicolas Sarkozy a bénéficié de plus de 50 millions d’euros de la part de la Libye.

C’est alors que tout s’accélère avec la mise en examen de Claude Guéant en 2015, celle de Takieddine en 2016, avant celle de Nicolas Sarkozy en 2018, qui précèdera celle d’Eric Woerth la même année, et de Brice Hortefeux fin 2020.

La rétractation de Ziad Takieddine en 2020 fait grand bruit dans la presse et ne passe pas inaperçue, après des années d’accusations précises portées à l’encontre de Sarkozy et ses proches.

L’instruction se clôture finalement en octobre 2022 et permet aux magistrats de croire en la matérialité d’une association de malfaiteurs ayant permis de financer la campagne de 2007.

En vertu d’une ordonnance émise en août 2023, treize accusés ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, conformément aux réquisitions de PNF (parquet national financier).

Nicolas Sarkozy encourt une peine pouvant aller jusqu’à dix années de prison et 375 000 euros d’amende.

AA / Nice

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