Suspension du chef d’arrondissement de Golo-Djigbé : une parodie de justice administrative

La suspension du chef d’arrondissement (CA) de Golo-Djigbé, Boco Sètondji, par le maire d’Abomey-Calavi, Angelo Ahouandjinou, le 5 mars 2025, illustre une instrumentalisation du droit à des fins politiques. Ce qui aurait dû être une procédure administrative ordinaire s’est transformé en un imbroglio juridique et politique, révélant des lacunes inquiétantes dans la compréhension des textes par le conseil municipal.

Tout commence par une demande d’explication adressée au CA par le maire, mais dépourvue de date et de paraphe. Cette omission, qui pourrait passer pour une négligence, révèle en réalité une précipitation évidente. La réponse du CA, datée du 25 février 2025, ne freine pas l’empressement du maire, qui prend, moins de deux semaines plus tard, une décision radicale : suspendre le chef d’arrondissement.

Une petite analyse permet de révéler de nombreuses incohérences dans cette décision. Entre erreurs administratives, mauvaise application des textes et motivations politiques dissimulées, la suspension du CA apparaît comme une manœuvre juridiquement infondée.

Des fondements juridiques erronés

L’un des points les plus troublants de cette affaire est l’argumentation juridique avancée par le maire pour justifier la suspension. Celui-ci invoque l’article 120, alinéa 1, de la loi sur la décentralisation, qui prévoit qu’une suspension ne peut excéder deux mois. Or, non seulement la durée de la suspension n’est pas précisée dans l’arrêté du maire, mais plus grave encore, le fondement même de cette décision repose sur une interprétation erronée des textes.

Le maire se réfère également à l’article 119 de la loi n°2021-14 du 20 décembre 2021 portant Code de l’administration territoriale. Problème : cet article ne concerne que les maires et leurs adjoints. À aucun moment, il n’est prévu qu’un chef d’arrondissement puisse être suspendu en vertu de cette disposition. Cette confusion dans l’application des textes témoigne d’une méconnaissance préoccupante du droit administratif par l’autorité municipale.

Autre irrégularité : la qualification de la fonction de CA comme un “poste” alors qu’il s’agit d’un mandat électif. Une telle erreur n’est pas anodine, car elle traduit une volonté de traiter un élu comme un simple agent administratif, ce qui n’a aucun fondement juridique.

Une violation du droit à la liberté d’expression

Au-delà des erreurs juridiques, les motifs avancés pour justifier la suspension sont également contestables. Le maire reproche au CA un “manquement grave à l’obligation de réserve”. Or, cette obligation concerne essentiellement les agents de l’administration et suppose la divulgation d’informations sensibles ou confidentielles.

Or, d’après les éléments en notre possession, les propos du CA ont été tenus dans un cadre privé, au sein d’un forum réunissant les 49 conseillers municipaux, la secrétaire exécutive et l’une de ses collaboratrices. À aucun moment, il n’a été question de déclarations publiques ou d’attaques dirigées contre l’autorité municipale ou l’État. Le nom du chef de l’État n’a d’ailleurs jamais été mentionné dans ces échanges.

Si l’on suit la logique du maire, tout élu qui exprimerait son opinion dans un cadre privé pourrait être suspendu. Un député critiquant une réforme gouvernementale dans un groupe WhatsApp confidentiel serait-il passible de sanction ? L’application d’un tel principe constituerait une grave atteinte à la liberté d’expression, garantie par la Constitution béninoise.

L’affaire prend une tournure encore plus politique lorsque l’on apprend que la décision de suspension a été envoyée au président du parti UP-R, auquel appartient le CA. Une ingérence politique qui suggère que la sanction vise avant tout à écarter un élu jugé trop indépendant.

Une procédure abusive qui risque d’être retoquée

En procédant ainsi, le maire d’Abomey-Calavi s’expose à un sérieux revers judiciaire. Si le CA porte l’affaire devant la Cour suprême ou la Cour constitutionnelle, il est fort probable que la décision soit annulée pour défaut de base légale.

La loi prévoit une procédure spécifique pour destituer un Chef d’arrondissement en cas de perte de confiance, notamment à travers un vote des conseillers municipaux. Si le maire avait voulu se conformer aux textes, il aurait dû suivre cette voie plutôt que de recourir à une suspension manifestement illégale.

Le dossier révèle donc une gestion approximative et une instrumentalisation du droit au profit d’intérêts politiques. Au-delà du cas spécifique de Boco Sètondji, cette affaire interroge sur les dérives de l’administration municipale et la nécessité d’un renforcement des compétences juridiques des élus locaux.

En attendant, la bataille judiciaire qui s’annonce pourrait bien tourner à la déconvenue pour le maire Angelo Ahouandjinou et ses alliés cachés, dont la décision repose sur des bases aussi fragiles qu’injustifiables.

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