Il est bien établi que la planète se réchauffe depuis plusieurs décennies en raison des gaz à effet de serre émis par l’humanité. Cependant, le fait que les températures mondiales aient battu des records, et ce de manière significative, en 2023 puis encore en 2024, suscite des interrogations parmi les climatologues.
Malgré la démonstration scientifique de l’impact des énergies fossiles et de la déforestation sur le réchauffement climatique, les causes d’une surchauffe aussi extrême que celles de 2023 et 2024 sont sources de débats. Certains experts suggèrent que le climat se réchauffe plus rapidement ou différemment de ce qui était anticipé.
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce phénomène : la réduction des nuages, qui diminue la réflexion des rayons solaires, une baisse de la pollution de l’air, et un affaiblissement des puits de carbone naturels comme les océans et les forêts, qui absorbent moins de CO2.
Les recherches sur ces sujets sont en cours, mais il faudra encore un à deux ans pour comprendre précisément l’impact de chaque facteur.
« J’aimerais savoir pourquoi 2023 et 2024 ont battu des records, mais je ne le sais pas encore », a reconnu Gavin Schmidt, directeur de l’Institut Goddard de la NASA. « Nous sommes en train de déterminer si nous assistons à un changement dans le fonctionnement du système climatique. »
Un terrain inconnu
Pour le climatologue Richard Allan de l’Université de Reading, « la chaleur record de ces deux dernières années a propulsé la planète en terrain inconnu ». Sonia Seneviratne de l’ETH Zurich en Suisse a également souligné que ce qui s’est passé est « exceptionnel, aux limites de ce que nous pouvions attendre des modèles climatiques actuels ».
Cela dit, la tendance générale au réchauffement n’est pas surprenante, étant donné l’intensification de l’utilisation des énergies fossiles, même si un pic des émissions semble proche.
La variabilité naturelle du climat peut partiellement expliquer ces phénomènes. En effet, 2023 a suivi une période marquée par trois années successives de La Niña, un phénomène naturel ayant atténué une partie du réchauffement en augmentant l’absorption de la chaleur par les océans. Lorsque le phénomène El Niño a pris le relais en 2023, avec une intensité exceptionnelle, cette chaleur accumulée a été libérée, propulsant les températures mondiales à des niveaux jamais observés depuis 100 000 ans.
Cependant, malgré le pic d’El Niño en janvier 2023, la chaleur persiste.
« Le refroidissement est très lent », admet le climatologue Robert Vautard. « Les températures restent dans les limites attendues, mais si elles ne baissent pas de manière significative en 2025, il faudra se poser des questions », avertit-il.
Une perte de résilience planétaire ?
Parmi les autres pistes d’explication, l’interdiction, en 2020, des carburants polluants pour le transport maritime a réduit les émissions de soufre, qui contribuaient à réfléchir la lumière du soleil et à refroidir le climat. Une étude récente a suggéré que la diminution des nuages de basse altitude pourrait permettre à davantage de chaleur d’atteindre la surface de la Terre.
Les cycles solaires et l’activité volcanique pourraient également avoir joué un rôle. Toutefois, certains scientifiques craignent que des facteurs supplémentaires aient contribué à amplifier les températures ou que l’accélération du réchauffement climatique soit passée inaperçue. « Il est possible que d’autres facteurs aient amplifié les températures… le verdict n’est pas encore tombé », avertit Sonia Seneviratne.
Une étude préliminaire de l’été 2023 a révélé un « affaiblissement sans précédent » des puits de carbone. La toundra arctique, par exemple, émet désormais plus de CO2 qu’elle n’en stocke. Par ailleurs, les océans, premiers régulateurs du climat, se réchauffent à un rythme difficile à expliquer, selon Johan Rockström de l’Institut de Potsdam. « Serait-ce le premier signe d’une perte de résilience de la planète ? Nous ne pouvons pas l’exclure », a-t-il conclu.