Et boum ! Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant seront arrêtés s’ils mettent les pieds au Canada ou dans un des 120 pays qui ont adhéré au Statut de Rome, reconnaissant la compétence de la Cour pénale internationale (CPI).
Du moins, en principe.
Dans une décision unanime qui a l’effet d’une bombe, les juges de la Chambre préliminaire de la CPI ont lancé des mandats d’arrêt contre les deux dirigeants israéliens.
Les magistrats de ce tribunal, qui a pour mandat de juger les personnes responsables des pires violations du droit international, estiment qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Nétanyahou et M. Gallant ont commis un crime de guerre en utilisant la famine comme arme, ainsi que des crimes contre l’humanité incluant le meurtre, la persécution et d’autres gestes inhumains dans la bande de Gaza.
C’est la première fois que des leaders d’un proche allié des États-Unis et de l’Occident sont visés par de tels mandats.
M. Nétanyahou et M. Gallant rejoignent ainsi un club peu sélect qui inclut le président russe, Vladimir Poutine, le rebelle ougandais Joseph Kony et une pléthore de seigneurs de la guerre africains.
Les juges ont aussi lancé un mandat d’arrêt contre Mohammed Deif, une des trois figures de proue du Hamas au moment des attentats perpétrés par le groupe islamiste en Israël le 7 octobre 2023.
S’il a été établi que ses deux acolytes, Yahya Sinouar et Ismaïl Haniyeh, ont été tués au cours des derniers mois, le doute subsiste au sujet du sort de M. Deif, bien que le Hamas et Israël l’ont déclaré mort.
La décision des magistrats dans cette affaire était plus qu’attendue. C’est en mai dernier que le procureur de la CPI, Karim Khan, avait demandé le lancement de mandats d’arrêt contre les deux dirigeants israéliens ainsi que trois leaders du Hamas.
Sa décision d’inclure M. Nétanyahou et M. Gallant avait soulevé les hauts cris et des accusations d’antisémitisme provenant des gouvernements d’Israël et des États-Unis. Le tribunal a fait depuis l’objet de menaces multiples, notamment de la part d’élus républicains américains.
Au cours des sept derniers mois, le silence des juges semblait bien lourd alors que le bilan des morts et de la souffrance en provenance de Gaza continuait d’empirer.
Que les supplications des organisations présentes sur le terrain se faisaient de plus en plus pressantes, voire désespérées. Que le gouvernement israélien bannissait la principale organisation onusienne qui livre de l’aide humanitaire aux civils palestiniens, l’UNRWA. Que le Liban – pris dans la confrontation entre Israël et le Hezbollah – se transformait en champ de bataille.
La semaine dernière, Oxfam, qui pèse toujours ses mots, a déterminé que les gestes commis par Israël dans le nord de Gaza, où se trouvent entre 75 000 et 90 000 personnes, dont de nombreux enfants, constituent actuellement du « nettoyage ethnique ». Aucune nourriture n’est entrée sur cette partie du territoire depuis plus de 40 jours.
« Quand Yoav Gallant a admis qu’il n’y avait plus de réelles cibles militaires dans cette partie de Gaza, il s’est fait mettre dehors du gouvernement israélien. Aujourd’hui, tous ceux qui restent sont considérés comme des combattants et sont donc vus comme des cibles légitimes », déplore Léa Pelletier-Marcotte, analyste politique d’Oxfam-Québec.
Elle ajoute que la « volonté avouée » des autorités israéliennes d’installer des colons juifs dans le nord de Gaza fait partie de la donne et invite les autorités canadiennes à en faire plus pour faire pression sur les autorités israéliennes.
Heureusement, jeudi, le premier ministre du Canada ne s’est pas cantonné dans la même posture que le gouvernement américain. Par la voix d’un porte-parole du Conseil de sécurité nationale, la Maison-Blanche a rejeté du revers de la main les mandats d’arrêt contre les deux politiciens israéliens et mis à nouveau en doute le travail du procureur, déjà miné par une enquête le visant sur des allégations d’inconduite sexuelle. Rien de surprenant.
Les États-Unis, qui ne sont pas signataires du traité de Rome, louent le travail de la Cour quand elle vise leurs ennemis et la dénoncent quand elle se tourne vers leurs alliés.
Justin Trudeau, lui, a plutôt affirmé sans équivoque que le Canada mettra à exécution les mandats d’arrêt de la CPI si une des personnes visées se trouve au pays.
C’est un changement de ton pour ce gouvernement qui s’est montré beaucoup plus ambivalent quand l’Afrique du Sud a entamé une procédure devant la Cour internationale de justice, l’autre grand tribunal international, accusant Israël de violer la Convention sur le génocide. La CIJ juge les États plutôt que les individus.
Par ailleurs, le Canada, qui a longtemps voté contre toutes les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies qui visaient Israël, a voté mercredi pour une résolution demandant la fin des colonies illégales dans les territoires palestiniens occupés, démontrant que le pays prend de plus en plus ses distances avec son allié historique au Proche-Orient. Ou du moins qu’il retrouve une position plus nuancée.
Il reste à voir si tous les pays qui sont assujettis à la Cour pénale internationale – ce qui inclut les pays de l’Union européenne – auront la colonne vertébrale pour faire respecter les mandats d’arrêt de la CPI, malgré l’opposition du géant américain qui devrait seulement grandir avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.
L’obligation, pour le Canada comme pour les autres, n’est pas de condamner d’emblée Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant, mais bien de laisser la justice faire son œuvre. Sans parti pris.
La Presse