Fraternités et sororités : une longue tradition américaine

(Burlington) Une tradition bien ancrée dans la culture américaine est celle des fraternités et des sororités. À l’Université du Vermont, située à Burlington, la Greek Life – comme on dit en anglais – se transmet de génération en génération depuis près de 180 ans.

Pour bon nombre de Québécois qui visitent la ville qui borde le lac Champlain, il est plutôt fascinant de voir d’imposantes bâtisses historiques parées de lettres tirées de l’alphabet grec. D’autant plus qu’un mystère entoure le fonctionnement des frat houses – et leur équivalent féminin –, hormis quelques clichés vus dans les films hollywoodiens, de Revenge of the Nerds à Legally Blonde.

Il y a quelques jours, par une magnifique journée d’automne, La Presse est allée à la rencontre d’étudiants au hasard sur le campus.
Brenna Greenhalgh répond gentiment à la porte de la maison Alpha Chi Omega. Pourquoi a-t-elle rejoint les rangs d’une sororité établie en 1885 ayant pour slogan Real strong women ? « Pour la philanthropie, répond-elle. Nous apportons du soutien aux femmes qui sont victimes de violence conjugale. »
L’étudiante fait partie de la quinzaine de jeunes femmes qui ont la chance de vivre dans la maison située dans la rue principale de Burlington. Mais au total, elles sont une centaine de membres dans la section vermontoise de la sororité (Alpha Iota). Ses « sœurs » sont la famille qu’elle a choisie, fait valoir Brenna.

Jamais je ne me suis sentie jugée. Et quand j’ai une mauvaise journée, quelqu’un est là pour moi.

Originaire de l’État voisin du New Hampshire, Brenna termine une majeure en science politique et elle compte étudier plus tard en droit. Être membre d’une sororité facilite le réseautage, souligne-t-elle, puisqu’on peut continuer d’en faire partie après ses études et qu’il existe des dizaines de sections d’Alpha Chi Omega partout aux États-Unis.

Des règles à suivre

Fondée en 1791, l’Université du Vermont (UVM) compte 10 000 étudiants. Elle a accueilli sur ses bancs des personnalités connues comme l’acteur Ben Affleck, l’écrivaine Annie Proulx et nul autre que Martin St-Louis, l’entraîneur-chef du Canadien de Montréal.

Sept fraternités sont officiellement reconnues par l’université, ainsi que six sororités, ce qui implique pour ses membres de suivre des règles, comme maintenir une certaine moyenne scolaire (soit un GPA de 2,5 sur un maximum possible de 4,0). D’autres organisations existent de manière parallèle, sans toutefois pouvoir tenir des activités directement sur le campus.
Croisé lors de notre balade, Ethan Fink fait partie de la fraternité Alpha Epsilon Pi (AEPi), qui existe depuis 1954 à Burlington, mais qui n’est plus reconnue par l’UVM depuis un party trop arrosé au terme duquel des étudiants ont été transportés à l’hôpital.
Récemment, le jeune homme de 20 ans et des membres de sa fraternité ont fait un week-end de camping. Pour lui, être membre d’une frat house, « c’est une façon de se faire de bons amis et d’avoir des contacts avec des étudiants plus âgés ».

Ethan sortait d’un cours d’éducation physique avec Ella Haber qui, elle, fait partie de Tri Delta, une sororité reconnue. Depuis avril dernier, elle est vice-présidente de la section vermontoise et responsable du code de bonne conduite de ses membres.

De style italianisant, la maison de la section Eta de Tri Delta a été construite en 1850 et appartient à la sororité depuis 1934. « C’est émouvant de penser aux centaines de femmes de plusieurs générations qui y ont vécu », commente Ella Haber devant la porte d’entrée.

À la mi-septembre, la section a accueilli une quarantaine de nouvelles « sœurs » après un processus de recrutement annuel de plusieurs jours.
Dans le jargon de la vie grecque, cette période s’appelle le rush. Les candidats doivent participer à différentes activités tenues par les fraternités et les sororités pour se faire connaître et choisir leur section.
Le tout culmine par un bid night, où tous sont réunis dans une pièce pour apprendre, au moyen d’une carte cachetée dans une enveloppe, s’ils font partie des heureux élus. Suit une marche en groupe vers la maison, puis une célébration.

Ce rituel donne lieu à des moments de joie, mais aussi de tristesse, admet Ella Haber, qui ne pensait pas s’impliquer dans la vie grecque avant de s’inscrire à l’université, bien que ses parents l’aient vécue. Elle avait en tête les rituels plus intenses – pour ne pas dire superficiels – d’autres universités.
Comment a-t-elle arrêté son choix sur Tri Delta ? « Chaque section a ses valeurs, et pendant le recrutement, j’ai eu de super conversations avec les filles de Tri Delta. Elles étaient terre à terre et intègres. J’ai l’impression de m’être fait des amies pour la vie. »

Le mouvement Abolish Greek Life

Si les fraternités et les sororités existent depuis plus de 200 ans, elles sont de plus en plus remises en question. En 2020, le New York Times a publié un article intitulé « The War on Frats » à la suite d’une pétition à l’Université Vanderbilt pour que la Greek Life y soit bannie. L’an dernier, dans le journal étudiant de l’Université du Vermont, The Cynic, une étudiante a exposé comment les personnes de la communauté LGBTQ+ ne s’y sentent pas les bienvenues.
Lisez l’article du New York Times (en anglais ; abonnement requis)

En gros, le mouvement Abolish Greek Life reproche à la vie grecque d’être raciste, misogyne et pas assez inclusive, et d’être trop axée sur la débauche, alors que l’âge légal pour boire de l’alcool aux États-Unis est 21 ans.

Pas pour tous les étudiants

Durant notre visite à Burlington, nous avons croisé une étudiante en sciences animales ayant choisi l’Université du Vermont pour sa Greek Life plus discrète qu’ailleurs. Elle n’aime pas le fait qu’il s’agisse d’une sorte de club privé pour lequel il faut payer et être choisi.
Un autre étudiant membre d’Alpha Gamma Rho, une fraternité, souligne à La Presse à quel point l’Université du Vermont est de plus en plus stricte envers les étudiants qui sont membres d’une fraternité ou d’une sororité reconnue. En plus de la moyenne scolaire à maintenir, il faut faire un minimum d’heures de bénévolat.

La fraternité de Conrad Cole et la sororité Kappa Alpha Theta devaient d’ailleurs tenir le samedi suivant l’évènement-bénéfice Car Smash For Cancer. Chaque don de 5 $ permettait… un coup de marteau sur une vieille voiture peinturée ! « Récemment, nous avons aussi fait une corvée de nettoyage à la plage », ajoute Conrad.
Le sympathique étudiant en finance nous ouvre généreusement les portes de sa frat house aux allures de manoir. Un conseil formé d’anciens élèves en gère l’administration, explique-t-il.

En 2017, une loi a d’ailleurs fait perdre aux fraternités et sororités de l’Université du Vermont l’exemption de taxe foncière dont elles bénéficiaient.
Bref, la Greek Life n’est plus ce qu’elle était.
Il suffit toutefois d’aller voir les comptes Instagram des fraternités et des sororités pour constater à quel point certains clichés de beauté, de party et de privilèges persistent. Nous avons vu – de nos yeux – des frat houses aux planchers jonchés de verres de plastique rouges, preuve irréfutable d’un lendemain de veille.

Si certains traits de la Greek Life sont remis en cause, la rejoindre comporte un avantage indéniable. « Ça te donne 100 amis
automatiquement », lance Ella Haber.

 

La Presse

Partage:
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *