Analyse Juridique | Procès de Boko, Homeky et cie à la CRIET : conflit de textes et stratégies défensives

Le procès opposant le ministère public à Olivier Boko, Oswald Homeky et quatre autres accusés, ouvert ce mardi 21 janvier 2025 devant la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), a été marqué dès le départ par des débats procéduraux houleux. Ce premier acte reflète les tensions entre le cadre légal et les stratégies défensives déployées par les avocats des accusés.

1. La contestation de la composition de la juridiction

Dès l’ouverture de l’audience, la défense a soulevé une exception d’incompétence en dénonçant une irrégularité dans la composition de la juridiction. Conformément à l’article 254 du Code de procédure pénale, une formation de cinq magistrats – un président et quatre assesseurs – est requise pour statuer en matière criminelle.

Cependant, le ministère public s’est appuyé sur l’article 6 de la loi 2020-07 du 17 février 2020, qui introduit une exception spécifique pour la CRIET. Selon cette disposition, la chambre de jugement peut siéger en formation réduite de trois magistrats – un président et deux assesseurs – pour ses audiences ordinaires, correctionnelles ou criminelles.

Cette réforme, adoptée après deux ans d’expérimentation d’une composition à cinq magistrats, visait à remédier aux dysfonctionnements fréquents. En effet, le faible nombre de magistrats disponibles pour la CRIET rendait les empêchements et incompatibilités fréquents, paralysant régulièrement la juridiction. La réduction de la composition a donc été instituée pour garantir une meilleure continuité des audiences.

Ainsi, bien que fondé sur les règles générales, l’argument de la défense semble ignorer cette réforme spécifique, qui prévaut pour les juridictions spécialisées comme la CRIET.

2. La récusation du juge-président et la déconstitution collective

Après le rejet de leur exception d’incompétence, les avocats des accusés ont récusé le juge-président, mettant en doute son impartialité. Cette demande a cependant été rejetée par le magistrat, qui a jugé l’argument insuffisamment fondé.

Face à cette décision, les avocats ont adopté une mesure radicale : la déconstitution collective, avec l’assentiment des accusés. Ce choix, rarissime dans une affaire de cette envergure, a suspendu temporairement les débats et mis en évidence une stratégie de défense visant à retarder l’examen du dossier sur le fond.

3. Une stratégie dilatoire ?

Le ministère public et certains observateurs qualifient ces manœuvres de dilatoires. Depuis l’ouverture de l’instruction, la défense a multiplié les recours devant la Cour constitutionnelle et la Cour suprême, contestant la régularité des procédures. Ces juridictions ont cependant systématiquement rejeté leurs requêtes, validant notamment l’arrêt de mise en accusation.

Ces actions récurrentes interrogent : visent-elles réellement à garantir les droits des accusés ou à retarder indéfiniment le jugement sur le fond ?

4. Enjeux institutionnels et judiciaires

Cette affaire met en lumière les défis auxquels sont confrontées les juridictions spécialisées comme la CRIET. D’un côté, la réforme de 2020 a cherché à pallier les dysfonctionnements liés au manque de magistrats, en permettant une composition réduite. De l’autre, les incidents de procédure récurrents soulignent les tensions entre l’efficacité revendiquée par cette juridiction et la perception de ses garanties en matière de droits de la défense.

La multiplication des obstacles procéduraux pourrait également ouvrir le débat sur une éventuelle révision des textes encadrant la CRIET, pour renforcer sa crédibilité et son fonctionnement à long terme.

Pour l’heure, le procès est suspendu. Ce premier acte illustre un affrontement entre deux logiques : d’un côté, une stratégie défensive visant à retarder les débats sur le fond, et de l’autre, une juridiction qui s’appuie sur des réformes récentes pour garantir la continuité des audiences. La reprise des débats sera décisive pour déterminer si cette affaire pourra avancer ou restera embourbée dans des blocages procéduraux.

La question reste ouverte : comment concilier célérité de la justice et respect des droits des accusés dans une juridiction aussi particulière que la CRIET ?

Partage:
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *