L’ex-président brésilien Jair Bolsonaro, qui se voyait revenir à la tête de l’État dans quelques années, est renvoyé dans les cordes par un rapport policier dévastateur l’identifiant comme un acteur clé d’un projet de coup d’État avorté.
Ce qu’il faut savoir
L’ex-président brésilien Jair Bolsonaro est mis en cause dans un rapport de la police fédérale détaillant un vaste projet de coup d’État qui visait à empêcher Luiz Inácio Lula da Silva de prendre le pouvoir après sa victoire électorale de 2022.
Une mise en accusation formelle du politicien d’extrême droite pourrait être le coup de grâce pour sa carrière politique.
Le rapport constitue également une source d’embarras pour l’armée brésilienne, qui cherche à faire valoir que certains militaires de haut rang ont rejeté le projet de coup d’État.
« Je ne pense pas qu’on peut dire qu’il est mort politiquement, mais sa situation s’est grandement détériorée », commente Guilherme Casaroes, analyste politique de la Fondation Getulio Vargas, établie à São Paulo.
La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine du 5 novembre avait donné des ailes au politicien brésilien d’extrême droite. Il espérait tirer profit de l’appui de cet allié pour faire lever une peine d’inéligibilité valide jusqu’en 2030 qui sanctionne ses « mensonges éhontés » relativement à la fiabilité du système de vote électronique brésilien.
L’entourage de Jair Bolsonaro avait entrepris, avec l’appui d’élus du camp républicain, de faire voter une forme d’amnistie par le Congrès brésilien, mais l’annonce de son rôle dans une tentative de coup d’État ne laisse guère de place à ce type d’initiative, note M. Casaroes.
Le politicien d’extrême droite, qui nie avoir voulu un coup d’État, avait été battu de peu au second tour de l’élection présidentielle de 2022 par Luiz Inácio Lula da Silva.
Il n’a jamais reconnu sa défaite face à son adversaire socialiste et avait appelé ses partisans à manifester. Des milliers d’entre eux ont pris d’assaut début 2023 les bâtiments du pouvoir à Brasília avant d’être refoulés, une escalade dramatique rappelant l’attaque contre le Capitole par les partisans de Donald Trump en 2021.

PHOTO ERALDO PERES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Un cordon de police antiémeute garde le palais du Planalto, derrière une vitre brisée par des partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro lors de leur prise d’assaut des lieux de pouvoir, en janvier 2023.
La police fédérale a conclu dans un rapport de 884 pages rendu public cette semaine que l’ex-président avait « pris part de façon directe et effective aux actes d’une organisation criminelle qui avait pour objectif un coup d’État ».
Le projet aurait tourné court parce que de hauts responsables de l’armée ont refusé de lui accorder leur soutien.
Des preuves « très solides »
Les forces de l’ordre demandent maintenant au procureur de la République d’inculper M. Bolsonaro et 36 autres personnes, dont des dizaines de militaires.
Les autorités ont par ailleurs annoncé en milieu de semaine l’arrestation des membres d’une unité d’élite, y compris un proche conseiller de l’ex-président, qui avaient prévu d’assassiner Luiz Inácio Lula da Silva, son vice-président et un juge influent de la Cour suprême, Alexandre de Moraes.
Bien que le rapport souligne que Jair Bolsonaro était « pleinement conscient » de ce volet du projet, il n’est pas visé pour l’heure par des accusations spécifiques à ce sujet, relève M. Casaroes.
Les preuves existantes contre lui relativement au projet de coup d’État semblent tout de même « très solides » et pourraient finir par mener l’ex-président en prison, relève le chercheur.
Fábio Kerche, politologue rattaché à l’Université fédérale de l’État de Rio de Janeiro, note que les efforts de l’extrême droite pour empêcher le transfert du pouvoir de se réaliser au début de 2023 étaient évoqués depuis longtemps par les médias et les analystes.
Un embarras pour les forces armées
L’étendue du plan mis en lumière par les autorités a cependant « choqué » les esprits au Brésil, souligne le chercheur, qui y voit une confirmation probante des penchants autoritaires de l’ex-président. « Bolsonaro n’est pas et n’a jamais été un démocrate », dit-il.

PHOTO VICTOR MORIYAMA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES
Dégâts causés par les partisans de Jair Bolsonaro au lendemain de leur assaut des lieux de pouvoir, en janvier 2023
Les révélations de la police constituent par ailleurs un embarras pour les forces armées, dit Jean Daudelin, spécialiste du Brésil rattaché à l’Université Carleton.
L’institution cherche à faire valoir que des militaires de haut rang ont refusé de cautionner le projet de coup d’État, mais ils ne l’ont pas dénoncé pour autant, relève le chercheur, qui se réjouit de voir que des militaires putschistes seront appelés à rendre compte de leur comportement devant les tribunaux.
M. Kerche pense que le gouvernement actuel ne voudra pas pousser trop loin les critiques institutionnelles de l’armée, préférant cautionner, pour des raisons de stabilité, l’idée qu’un nombre limité de militaires ont joué un rôle dans le projet de coup d’État.
Les accusations à venir en lien avec le projet de coup d’État, et la possible condamnation de Jair Bolsonaro, soulèvent par ailleurs la question de l’avenir de l’extrême droite brésilienne.
Une lutte intestine à prévoir ?
L’un des fils de l’ex-président ou encore des politiciens qui lui sont liés, comme l’actuel gouverneur de l’État de São Paulo, pourraient tenter de prendre le relais.
M. Kerche pense que les tensions découlant de cette lutte de pouvoir risquent d’affaiblir le mouvement. Elles pourraient favoriser du même coup une remontée de la droite modérée et une « normalisation démocratique » du jeu politique.
Rafael Soares Gonçalves, chercheur rattaché à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, pense que nombre de partisans de Jair Bolsonaro vont continuer à le soutenir sans égard à ses ennuis.
« Ils disent que c’est la gauche qui le persécute. Mais c’est la justice qui fait son travail », note-t-il.
M. Daudelin relève que le président Lula da Silva connaît d’importantes difficultés et aura fort à faire pour remporter la victoire en 2026 même si l’extrême droite est affaiblie.
« Lula sous-performe dans pratiquement tous les domaines, à l’exception peut-être des affaires étrangères. Or, les affaires étrangères n’apportent généralement pas de votes », relève M. Casaroes, qui n’écarte pas de nouveaux dérapages si Jair Bolsonaro est condamné à une peine d’emprisonnement.
« Il a souvent dit qu’il n’accepterait jamais d’être incarcéré. Je crains qu’il tente d’inciter ses partisans à redescendre dans la rue si ça arrive », prévient l’analyste.