La lettre de Robert Bourgi à son »frère » l’ancien Président ivoirien, Laurent résonne comme un vibrant hommage à leur lien fraternel, tissé à travers des souvenirs marquants et des épreuves partagées. En relisant cette correspondance, on découvre une dynamique complexe, pleine d’affection et de réminiscences historiques, qui évoque à la fois leur passé commun et les défis qu’ils ont affrontés.
Un passé partagé…
R. Bourgi commence par évoquer leur époque à Abidjan, où ils exerçaient en tant que professeurs. Les souvenirs de conférences et de débats, notamment sur De Gaulle et la conférence de Brazzaville, rappellent une époque où leur complicité intellectuelle était à son apogée. Ce retour aux sources témoigne d’une nostalgie palpable, d’un désir de reconnecter avec le frère qu’il a toujours admiré.
La tempête des années
La lettre aborde ensuite des périodes sombres, marquées par l’emprisonnement de Laurent et les incompréhensions qui en ont découlé. Malgré les rumeurs et les accusations, Bourgi affirme sa loyauté envers son frère, insistant sur le fait qu’il n’a jamais trahi sa confiance. Il évoque également son rôle dans les relations entre Laurent et des figures politiques françaises, soulignant ses efforts pour maintenir des liens malgré les obstacles.
Une main tendue vers l’avenir
Le cœur de la lettre réside dans l’appel à la réconciliation. À l’approche de leurs quatre-vingts ans, Bourgi exhorte Laurent à accepter sa main tendue, à surmonter les rancœurs du passé pour envisager un avenir commun. Ce geste symbolique, ancré dans l’histoire, évoque la rencontre entre De Gaulle et Adenauer, un moment de réconciliation entre deux nations autrefois en guerre.
In fine, cette lettre n’est pas seulement un témoignage d’une relation fraternelle, mais aussi un plaidoyer pour le pardon et la réconciliation. Dans un monde souvent divisé, le message de Robert Bourgi à Laurent est une invitation à dépasser les malentendus, à retrouver des liens précieux et à s’orienter vers l’avenir avec espoir et solidarité. Les mots de Bourgi résonnent comme un appel universel à la fraternité, rappelant que même dans l’adversité, le lien du sang demeure une force inébranlable.
Bonjour, mon frère Laurent.
J’ai écouté, avec intérêt, plaisir et beaucoup d’attention ton interview avec le pertinent Alain Foka. J’ai apprécié. Te regardant, j’ai retrouvé le Laurent que j’ai bien connu, du temps passé lointain.
Nous nous voyions régulièrement à Abidjan. Tu étais professeur d’histoire à la faculté des Lettres. J’étais professeur de droit à la faculté de Droit. Quelque chose que je n’oublierai jamais, frangin, c’est la conférence-débat que nous avons donnée dans l’amphithéâtre de la faculté de Droit sur De Gaulle et la conférence de Brazzaville. Rappelle-toi, l’auditoire était conquis, une adhésion complète à tes propos et à ta personne. Mais je n’étais pas la brebis galeuse. J’avais aussi mon petit succès. Et au cours du débat, je t’avais dit, te regardant, et regardant la centaine d’auditeurs, que tu étaisaussi un admirateur du Général De Gaulle. Et rappelle-toi comme nous avons fêté l’après- conférence à la maison, à la Riviera, chez moi, force Champagne et Vodka.
Les années ont passé. Tu as été emprisonné par le vieux. Et je t’ai manifesté ma fidélité et mon soutien. Tu m’avais même envoyé une gentille lettre de reconnaissance.
Les années ont passé. Et le bon et le mauvais se sont mêlés. Et aussi l’obscure, et ton séjour à la Haye. Tu avais toutes les raisons de m’en vouloir. Mais je n’étais pas bien loin, Laurent. Je ne t’ai jamais trahi. Je ne t’ai jamais manqué. II fallait s’appeler Robert Bourgi pour tenir les propos que j’ai tenus à Monsieur Chirac, à Dominique de Villepin, puis au Président Sarkozy. N’est-ce pas moi qui ai organisé ta première rencontre avec Sarkozy à New York ? N’est-ce pas moi qui ai organisé ta rencontre avec Sarkozy à Lisbonne ? J’ai tout fait pour vous rapprocher. Mais je n’ai rien pu faire contre certaines forces que je qualifierai d’obscures. Dans ma famille, le reproche m’a été fait de ne pas être allé te rendre visite à la Haye, où j’allais voir Jean-Pierre Bemba, emprisonné dans la même prison. Mais je savais que mon frère Albert allait te voir, et je craignais d’aller te voir, Laurent, parce qu’on avait dit tellement de choses inexactes sur moi. Que je t’avais trahi. Que je t’avais trompé. C’est mal me connaître, Laurent. C’est mal me connaître. La fidélité est en moi, mais quand on me manque, je foudroie. Certaines personnes en France en savent quelque chose.
Mais aujourd’hui, le temps est venu de se retrouver, de se parler à nouveau. Moi, l’aîné, je suis ton aîné d’un mois, je te tends la main et je te demande pardon pour toutes les actions que tu as pu me reprocher mais parfois à tort.
Tu es historien, Laurent. Rappelle-toi la rencontre, en septembre 1958, à Colombey-les- Deux-Églises, entre le Général De Gaulle et le Chancelier allemand Konrad Adenauer. La France et l’Allemagne s’étaient fait la guerre, des centaines de milliers de morts. Et, les deux géants de l’Histoire se sont retrouvés à Colombey-les-Deux-Églises, et Adenauer a été le seul Chef d’Etat au monde à avoir été reçu à Colombey.
Je te tends la main. Accepte-la. Nous allons bientôt vers nos quatre-vingts ans, et nous avons encore des choses à faire. Je sens, dans ton pays, un appel profond dans ta direction.
Accepte la main que je te tends.
Je t’embrasse, vieux frère. À très bientôt, je l’espère.
Ton frère Robert BOURGI